Écrits à Belfast


7 mars 2013, Belfast


Aujourd’hui, premier cours de dessin.

 

Après un périple long et angoissé en bus et à pieds (peur de rater l’arrêt, d’arriver en retard, etc) vers l’Ouest de Belfast, je suis arrivée au 73 Circular Street, où Julie donne ses cours. Petit groupe de femmes, entre 40 et 50 ans, qui m’accueille avec de grands sourires et rit quand Julie dit que je suis venue en bus :

« - … and she comes from France.

– By bus ?! ».

 

Julie me montre un classeur avec des "exercices" de peinture et les étapes du travail. Puis le travail commence. Je dépiaute l’emballage de mes crayons, de ma gomme, et installe mon bloc de papier sur le bout de table où m’attend mon premier modèle.

 

Une banane.

 

Ça n’a l’air de rien vu d’ici, mais je peux dire que ce n’est pas si simple. Et je me lance, un grand trait pour le contour du fruit, aussitôt reprise par Julie, qui me dit que c’est naturel de vouloir commencer comme ça mais que la banane est beaucoup plus courbe que celle de mon dessin et que ça marche beaucoup mieux si j’y vais par petits bouts.

 

Qu’à cela ne tienne, un coup de gomme et on recommence.

 

Après deux dessins, au lieu de trois parce que j’ai pris mon temps, avec détails et ombre, c’est le moment de prendre le pinceau, toujours guidée par Julie sur la façon de toucher la peinture sur la palette avec la pointe du pinceau, pour en prendre juste ce qu'il faut, ou de la façon de colorer le dessin.

 

Pendant deux heures et demi, oublier un peu tout. Seulement essayer de saisir sur le papier quelque chose de simple. Ne pas juger ce qu’on fait, ne pas constater que le dessin ne ressemble pas du tout à une banane. Juste comparer le fruit et l’esquisse et essayer de voir comment l’améliorer.

 

Et à un moment, découvrir combien on est calme, comment la fureur des pensées s’est apaisée, discrètement, diluée dans le verre d’eau où je trempe le pinceau.

 

 

 

 

 

 

Today, first drawing class.

 

After a long and worried journey by bus towards the East Belfast (afraid of missing the bus stop, afraid of being late, etc), I arrived to the 73 Circular Street, where Julie gives her classes. A small group of women, between 40 and 50, welcomes me with great smiles, laughing when Julie says I've come by bus:

“… and she comes from France. – By bus?!”.

 

Julie shows me a folder full of exercises and the steps of painting. Then, work begins. I take off the wrapping of my pencils, my rubber and I put my water color pad on the corner of the table where my first model is waiting for me.

 

A banana.

 

You wouldn’t think it is hard, but I can tell it isn’t so easy. So I have a try, a big line as the shape of the fruit. Immediately, Julie corrects me. She tells me that it is quite natural to start like that but that my banana is much more curved than the banana on my drawing. That it works much better if I go little-by-little.

 

Never mind, I erase then start again.

 

After two drawings with details and shades, time’s up to use the brushes, still guided by Julie about the way of touching the paint on the palette with the brush point, not too much, or about the way of colouring the drawing.

 

During two hours and a half, forgetting everything. Only trying to catch a simple thing on the paper. Not judging what you’re doing, not observing that the drawing doesn’t look at all like a banana, not yet. Only comparing the fruit and the sketch and trying to see how make it better.

 

And at some point, you discover how quiet you are, how the fury of the thoughts has calmed down, inconspicuously, watered down in the glass in which I soak the brush.

14 mars 2013


You’re learning to see.

 

Deuxième cours dessin, today.

Arrivée en avance cette fois, en premier aussi. Julie me dit qu’aujourd’hui, pas de peinture, que du dessin pour moi. Bon. Et là, je vois.

Installés sur la table.

Disposés en une composition harmonieuse.

Trois poivrons et demi.

Un rouge, deux verts et la moitié d’un vert.

 

Julie me dit que ça a l’air plus difficile que les bananes de la semaine dernière, mais que les deux sont aussi difficiles. Ce sont de beaux poivrons. Mais quand on doit les dessiner, ils prennent soudain une dimension sournoise et l'air de dire « Nous, tu nous mettras pas sur le papier, on est trop dur à dessiner, ha ha ! ».

 

Après trois premiers traits hasardeux pour le petit poivron vert, je donne un coup de gomme. Je reste immobile, lève mon crayon, le repose. Je ne sais pas par où commencer. Je lève mon crayon. Le repose. Julie dit de partir du cœur de la composition et ensuite de gagner et dessiner progressivement les contours, en allant vers l’extérieur. La toute petite ombre du milieu. Le contour du poivron de gauche. Je me perds dans les détails, mon esquisse a l’air d’une toile d’araignée, je me perds, mon regard devient flou par moments. J’en ai presque sommeil.

 

A un moment, Julie derrière moi dit que la raison pour laquelle on passe autant de temps à détailler, c’est parce qu’au début, on croit qu’on a vu l’objet, au premier coup d’œil, ben oui c’est un poivron, j’ai vu comment il était, rouge, entier, couché sur le côté. Alors qu’on en a vu qu’une image générale, furtive.

 

« Here, you’re learning to see ».

 

Il y a tellement de choses qu’on doit apprendre à voir, tellement de détails. Plus on regarde, plus on en découvre. On se concentre sur un point, puis on se rend compte que ce détail en contient encore d’autres. Infini.

 

Je regarde avec un peu d’envie les poivrons colorés dessinés puis peints par mes voisines de table. Mais je me concentre malgré tout sur mon dessin. Aussi apprendre la patience. Ce qui me manque. 

 

 

 

 

 

 

 

 

Second drawing class, today.

 

This time, arrived early and also the first. Julie tells me that today, no painting, only drawing for me. Well. And now I see.

On the table.

Placed in a harmonious arrangement.

Three peppers and a half.

One red, two green and one half of a green.

 

Julie tells me that it looks more difficult than the bananas last week, but that both are as difficult. Those peppers are beautiful. But when you have to draw them, they suddenly look deceitful. They seem to say to me: “We peppers are too hard to draw, you’ll not put us on the paper! Ha ha!”

 

After three haphazard lines for the small green pepper, I erase everything. I stay still. Raise my pencil. I put it down. I don’t know where to begin? I raise my pencil. I put it down. Julie says to start from the heart of the arrangement and then to reach gradually the contours, towards the edge. The very small shade in the middle. The contour of the pepper on the left. I’m lost in the details, my outline looks like a cobweb, I’m getting lost, my gaze becomes hazy sometimes. I’m almost sleepy.

 

At a point, Julie, behind me, says that the reason why we spend so much time on details is because at the beginning, you think you’ve seen the thing, at the first sight, well it’s a pepper, I’ve seen how it was, red, entire, laying on its side. But it’s only a furtive, general image.

 

“Here, you’re learning to see”.

 

There is so much to learn to see, so many details. The more you gaze, the more things are revealed to your eyes. You focus on one point, then you realize that in this point there still more details. Endless.

 

A bit envious, I glance to the colored peppers that those sharing the table with me have dran and painted. But despite everything, I focus on my drawing. Also learning to be patient. That's what I lack.