13 novembre 2015

 

Vendredi soir, j’étais avec des amis, nous avions envie d’une soirée insouciante, à nous saouler et à rire. S., en regardant son téléphone nous a appris ce qui était en train de se passer à Paris. Aussitôt nous avons essayé de préserver notre petite bulle, dans cet appartement où nous riions quelques instants plutôt, repoussant les pensées qu’entraînait la nouvelle que nous venions d’apprendre. Mais ces pensées planaient sur nous, au fur et à mesure que les nouvelles informations circulaient sur Facebook : d’abord l’explosion au stade, ensuite le bar, ensuite le Bataclan, ensuite…

J’ai quitté mes amis vers 2 heures du matin. J’ai traversé le centre ville à pied. Sitôt dans la rue, ma poitrine s’est fissurée pour laisser couler le torrent de larmes qui couvait là. Des sanglots tout le long du chemin.

Je croisais des jeunes qui faisaient la fête.

Étaient-ils au courant ?

Avaient-ils, comme nous, entendu les nouvelles et essayé de préserver la bulle protectrice de la fête qu’ils faisaient ce soir ?

Est-ce qu’on entendait mes pleurs ?

Est-ce que j’en avais honte ou est-ce que j’avais envie qu’on les entende partout sur Terre, que chaque humain puisse se joindre à moi et hurler ses larmes jusqu’à ce qu’il croit que son cœur va lâcher ?

 

Arrivée chez moi, le flot ne tarissait pas. Je n’ai pas voulu aller voir les nouvelles sur internet, j’ai voulu faire la paix en moi et diriger mes pensées vers les humains qui souffraient là-bas, comme je l’ai fait après Charlie Hebdo, comme je le fais quand j’apprends que quelque part dans le monde, des humains souffrent. C’est ma manière de prier l’Univers, moi qui suis sans religion. Mais tant que j’y pensais, les larmes ruisselaient, je me serais noyée dedans, j’avais trop mal à mon être. J’ai mis un film pour m’endormir, comme une veilleuse rassurante.

 

Le samedi matin, j’ai retardé le moment d’affronter cette réalité, d’ouvrir l’ordinateur et voir tous les mots qui rendraient ce qui s’est passé plus réel encore, une nouvelle gifle dans la figure. J’ai fini par le faire. Suite de mon désespoir.

Là, est survenu un coup de fil inattendu, mon père, pour un tout autre sujet. Puis il a évoqué les événements de la veille, m’a demandé si j’avais le moral.

J’ai dit « je suis en deuil ». Et puis je n’ai plus trouvé l’énergie de retenir mes cris.

 

« J’en peux plus. Il faut que ça s’arrête C’est pas seulement Paris… Ça nous touche plus parce que c’est chez nous 

Mais c’est TOUT Partout Tous ces gens qui meurent en Méditerranée Je veux dire l’humanité existe depuis des siècles et RIEN ne s’améliore c’est de pire en pire

Alors autant arrêter tout de suite, si c’est pour voir cette souffrance, ce désastre, autant que la Terre explose tout de suite, que ça finisse, que tout finisse… »

 

Je criais tout ça, je m’agitais dans mon impuissance et mon chagrin, le téléphone collé à l’oreille, à peine consciente que je parlais toujours à mon père. C’était un cri que j’aurais voulu que l’Univers entier entende. Je criais tout ça, je n’ai jamais connu un accès de désespoir si violent.

 

C’est pour ça, qu’au bout du fil, c’était le silence jusqu’à ce que mon père me dise

« J’arrive. Ne prends aucune décision avant que je sois là ».

 

J’ai réalisé que j’avais dû lui faire peur. J’aurais voulu dire que je détestais être en train d’oublier l’espoir, que je détestais être en train de céder à la peur et de laisser l'espoir s'effacer. Mais je ne pouvais rien faire d’autre que laisser ce raz-de-marée me traverser. Aller jusqu’au bout du cri, même si la souffrance est toujours là, m’a aidé à revenir de ce magma noir où je perdais pied. J’avais besoin que quelqu’un vienne me tendre la main, me sorte de là et me console.

 

Quand j’ai pu saisir cette main, j’ai commencé à me rappeler ce que la vie a de bon. Il y a dans le monde, dans nos vies à tous, des trésors qui se rappellent à nous. Comme la musique, qui me donne des frissons de joie, qui rend mon coeur plus grand. 

Et si je désespère qu'il n'y ait plus d'espoir, c'est participer à l'effondrement général. Alors que si je cultive l'espoir en moi, il finira par rayonner et se répandre, peut-être, tout autour de moi et il rejoindra les espoirs des humains qui m'entourent.