Ce chat

C’est le 15 juillet 2016, le lendemain de l’attentat à Nice.

Réfugiée à l’étage, pour pleurer sans en avertir toute la maison. Dans la chambre de ma sœur il n’y a pas de mouchoirs, c’est très dommage, j’inonde l’oreiller en me disant à un moment que je ferai sans doute mieux de pleurer dans les bras de quelqu’un. Tant pis.

 

J’attends que le flot se calme. C’est long. Sur une étagère, il y a quelques livres, je tombe sur ce titre : Ce chat qui a changé ma vie. Je pense « si je le vois maintenant, c’est peut-être qu’il y a ce qu’il me faut dedans ». J’ouvre au hasard et tombe sur ces quelques pages, la fin d’un témoignage.

 

Le Chat avait été présent à un moment douloureux de ma vie. Un de ces moments de détresse dont on pense ne jamais pouvoir se sortir. Je me souviens parfaitement de cet instant où, alors que j’étais étendu, tout à ma peine, il est venu se coucher sur moi, là, sur ma poitrine. Ce qu’il ne faisait jamais. J’avais été si surpris de cette intervention que j’ai toujours pensé qu’il m’avait réanimé…

Dans la vie on ne peut faire son deuil des choses, des gens, qu’en donnant à ceux qui vous ont donné, dans un équilibre entre l’accueil de ce qui est offert et le don qui sera fait en retour.

Et c’est important de pouvoir dire à ceux qui vous ont aimé combien on les aime, de leur vivant. C’est ce qui permet la cicatrisation après la rupture, quand l’autre part.

Et quand on a cicatrisé, qu’on a guéri, alors on peut reconstruire.

Je n’oublierai jamais ce que Le Chat a fait pour moi, simplement.

Je suis triste quand je pense à mes deux chats, mais je ne suis pas souffrant.

Je suis heureusement triste, et vivant.

Accueillant et humain, aussi grâce à eux.*

 

 

Tout le monde n’est peut-être sensible aux chats. Mais bon, que ce soit un chat ou un homme ou une femme ou un enfant, ou même un livre, comme ce qui m’est arrivé ce matin, qui vienne sur ton cœur pour t’aider à guérir, c’est tout ce qu’il y a à retenir selon moi. Quand tu es au fond de ta détresse, il y a toujours, au bout d’un temps plus ou moins long, quelque chose qui vient se rouler en boule sur ton cœur, une image, un humain, un rire de ta fille, de ton amoureux, un souvenir, qui te dit « oui, la vie est aussi belle et pleine de bienfaits. » Et tout le monde mérite de guérir.

 

La violence, l’injustice, la disparition d’êtres qu’on aime profondément aura toujours quelque chose de révoltant, de complètement incompréhensible. Je ne veux pas, ce n’est pas juste, on avait encore tant de bonheurs à vivre ensemble, de rires, de découvertes, de joies minuscules ou gigantesques et si précieuses à partager. Mais non, il n’y aura pas ça entre nous. Je continue sans lui, sans elle, sans eux. Est-ce que je veux continuer ? A quoi bon ? Est-ce que je pourrai à nouveau penser sincèrement « la vie est belle » après autant de souffrance dans chaque fibre de mon être ?

 

J’ai 23 ans, je n’ai pas de religion, je n’ai que mon expérience, je galère comme pas permis à construire la personne que je veux être et la vie que je veux vivre et à chaque fois qu’un événement comme cet attentat arrive, j’ai tendance à lever la tête vers le ciel et j’ai envie de hurler « mais aidez-nous au lieu de nous mutiler ! Qui décide de tout ça ? Qui entraîne les humains à détruire, à être guidés par la peur ? C’est trop injuste pour venir de nous-mêmes, je refuse qu’on soit responsables de ça. » Et puis, quand ma tempête se calme, je reprends mon travail quotidien : accepter que certaines choses soient là, même si je ne suis pas d’accord avec elles, m’accompagner dans mes peurs et mes trajets de vie, m’aider, m’aimer un peu plus chaque jour et aimer ceux que j’aime, et ceux que j’aime moins, un peu plus chaque jour, même si je ne m’en rends pas compte et/ou que c’est difficile.

 

Souvent, ces derniers temps, je pense « comme c’est dur de vivre. Je ne sais pas vivre ce qui m’arrive. Comme je voudrais que tout soit simple. » Comme je voudrais être « heureusement triste, et vivante » mais plus souffrante. Et goûter la vie, goûter ce qu’elle a de merveilleux, de profondément joyeux.

 

 

Comme c’est dur d’y arriver. Mais j’y vais, là.

 

*Extrait de « Ce chat qui a changé ma vie », recueil d’histoires qui modifient notre compréhension du monde, par Anne-Claire Gagnon

 

Photo  © Laurène Nouvellon (septembre 2013)